Katherine Longly

Artiste plasticienne - Photographe

Ateliers & stages - Médiation culturelle et projets participatifs - Formations

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Abroad is too far

2012 - 2014

ABROAD IS TOO FAR montre quelques tentatives du gouvernement et des promoteurs immobiliers chinois pour proposer de nouveaux modèles de logement de masse calqués sur les architectures occidentales. Au-delà de l'anecdote, c'est la relation que l'on entretient avec son patrimoine, et avec sa propre histoire, qui est ici évoquée.

L'évolution que connaît la Chine actuellement est fulgurante. Sa croissance économique, et avec elle l'amélioration du niveau de vie des chinois, se répercute sur bien des aspects de la vie quotidienne. Par ailleurs, la « génération 80 », celle qui, la première, a grandi sans frères et sœurs, a commencé à cultiver un certain individualisme qui était jusque-là incongru. L'industrie des loisirs connaît ainsi un développement considérable, stimulé par la classe moyenne et son envie de découvrir le monde.

Avec la complicité des promoteurs immobiliers, qui lorgnent sur un nouveau marché prometteur, les autorités ont trouvé une parade à la soif d'ailleurs des nouveaux riches. Pourquoi avoir encore envie de visiter Paris, Venise ou Londres, alors qu'on peut voir l'Arc de Triomphe, les Gondoles ou la Tamise à quelques dizaines, voire centaines de kilomètres de chez soi ? On peut se délecter un moment des parcs « Window of the World » à Shenzhen ou  « The World » à Pékin, qui donnent à voir les plus remarquables édifices du monde en modèle réduit, mais il fallait voir plus loin. Pourquoi ne pas carrément offrir la possibilité aux Chinois, moyennant économies, d'habiter Les Champs Elysées, Hallstatt ou la Scandinavie, sans pour autant avoir à abandonner leur patrie ?

Des quartiers d'habitation entiers ont ainsi commencé à sortir de terre. Rien qu'autour de Shanghai, on peut choisir d'habiter un nouvel immeuble, ou même une villa, à l'architecture d'inspiration allemande, hollandaise, italienne, anglaise, scandinave ou canadienne. On peut rêver déambuler dans la ville-lumière sous la tour Eiffel d'Hangzhou. On peut même être propriétaire d'une bâtisse dont l'originale a été classée par l'UNESCO, avant d'être copiée à Hallstatt-See près de Shenzhen.

Mais l'édification de ces villes nouvelles répond également à d'autres besoins. D'abord, il faut considérer l'urbanisation galopante que connaît la Chine actuellement. L'exode rural, induit par l'industrialisation de l'agriculture, atteint de véritables records, et les prévisions pour les années qui arrivent confirment la tendance. Ensuite, l'émergence d'une classe moyenne de plus en plus aisée bouleverse les usages : le chinois du 21e siècle n'accepte plus de partager un logement exigu avec deux autres générations ; il faut alors trouver des superficies supplémentaires dans les villes. Enfin, la spéculation immobilière dans un marché tel que la Chine laisse des milliers d'appartements vides.

La pression sur les villes est donc énorme. Des mesures urgentes s'imposaient. Il a donc fallu penser de nouveaux modèles de logement de masse, et ces « New Towns » répondent tant au problème d'urbanisation qu'au désir d'exotisme de la nouvelle génération. Par ailleurs, ils offrent une alternative aux grands buildings d'habitation anonymes qui sont la norme en matière de logement dans les grandes villes chinoises.

Seulement voilà. La réalisation n'a été aussi efficace que l'idée était ingénieuse.

Tous ces quartiers sont sortis de terre comme des champignons. Entre l'annonce de la construction de Hallstatt-see et son inauguration, à peine un an s'est écoulé. Les appartements des New Towns autour de Shanghai ont été mis sur le marché alors qu'aucune station de métro ne dessert le périmètre. Et sous la tour Eiffel de Hangzhou poussent encore les légumes cultivés par les paysans qui ont vu leur portion de campagne se métamorphoser en à peine quelques mois.

En conséquence de quoi, ces villes nouvelles sont pour la plupart devenues des villes fantômes. Les logements mis en vente ne rencontrent aucune demande, à quelques exceptions et spéculateurs près, car ils sont dépourvus de toute commodité (commerces, hôpitaux, écoles, …). De plus, ils sont très difficiles d'accès, et leurs prix souvent inabordables pour la classe moyenne.

Par ailleurs, étant donné l'urgence à construire, les matériaux utilisés sont de piètre qualité, et la facture grossière. Les murs se lézardent déjà, alors que certains appartements n'ont pas encore trouvé acheteur.

Mais le plus choquant dans tout cela est sans doute le mépris de la Chine contemporaine pour son propre patrimoine. Des quartiers d'habitations traditionnels, tels les hutongs de Pékin, sont démolis pour faire place à de hauts buildings sans âme. On peut donc facilement imaginer que les nouveaux riches rêvent de logements qui ont plus de caractère. Mais n'y a-t-il pas un certain cynisme à balayer ses propres traditions pour en importer d'autres, qui, de par leur caractère factice, sont elles aussi dénuées de toute identité ?